ESPACES IMAGINAIRES, par Jean-Pierre Collot

(extrait du livret CD)

 

" J'ai voulu dans cette sonate adopter le grand style pianistique qui a été connu, peut-être, au siècle dernier. Un style pianistique extrêmement luxuriant". Jamais peut-être œuvre musicale contemporaine n'aura donné lieu non seulement à tant de commentaires, mais surtout à tant de tentatives d'en livrer, sous forme purement littéraire, une sorte de synopsis dramatique. Faut-il s'en étonner concernant un compositeur hanté par la littérature et principalement par un livre, "La Mort de Virgile" de Hermann Broch, "l'œuvre", dira Barraqué, "que j'attendais, sans la connaître", au point qu'il est tentant, à l'encontre de toutes les lois de la causalité, d''en étendre le champ d'influence à la Sonate pour piano (1950/1952) achevée pourtant trois ans avant la découverte par Barraqué du livre - et du commentaire de celui-ci par Maurice Blanchot. Tout, donc, a déjà été évoqué: lyrisme au vitriol, évidement progressif des structures, surgissement du silence, d'abord de façon insidieuse au sein même de la phrase, puis sous forme de trous noirs toujours plus massifs happant la matière autour d'eux, triton annonçant l'émergence et le rôle dramatique des trilles et trémolos, sortes de vortex trouant la matière sonore de part en part, verticalisation progressive des phrases en blocs monolithiques exacerbés, convergence vers un éclatement paroxystique dans les dernières pages de l'œuvre, comparable seulement - peut-être - au total chromatique de la Mort de Lulu ou au "cri d'enfant assassiné dans la nuit" hantant le "Catalogue d'Oiseaux" d'Olivier Messiaen.  Citons également le rôle joué par la tonalité, tout d'abord sous l'aspect de résonances semblant fortuites, puis sous forme de fleurs harmoniques étranges s'épanouissant peu à peu, ça et là, au fil de l'œuvre et nous mettant devant l'évidence: sous nos yeux s'élabore une vaste méditation sur la musique; devant nous, en temps réel, pense et crée le compositeur, comme on a pu l'écrire des derniers quatuors de Beethoven.  

 

"La musique, c'est le drame, c'est le pathétique, c'est la mort. C'est le jeu complet, le tremblement jusqu'au suicide. Si la musique n'est pas ça, si elle n'est pas le dépassement jusqu'aux limites, elle n'est rien"

Quelques éléments d'approche encore: l'invention, inouïe, des "nuances moyennes", par laquelle Barraqué prend l'interprète à bras le corps, exige de lui qu'il creuse au plus profond de sa subjectivité pour donner à entendre ce paradoxe: un pianissimo qui serait forte, un fortissimo qui serait mezzopiano. Imaginons-nous une couleur de l'arc-en-ciel qui serait, aussi, n'importe quelle autre couleur de l'arc-en-ciel, ou, encore, un espace ouvrant sur des espaces imaginaires, non au sens d'une quelconque rêverie poétique mais bien plutôt au sens mathématique, on voudrait dire "florenskien" du terme, celui de l'ouverture à un espace autre, régi par d'autres lois. Le renversement fulgurant, ensuite, qui s'effectue entre la première partie et la deuxième partie de l'œuvre, lorsque la note-ton se métamorphose en note-son, que la note se fait timbre, envahit l'écran, devient qualité. Citons, enfin, la fin de l'œuvre, lorsque, dans un temps aboli, les 12 notes de la série retentissent une dernière fois, mais comme si chacune d'elles était perçue à travers une lentille colorée différente: série d'origine, mais présentée dans sa forme renversée et rétrograde, retournée comme un gant, comme si, déjà, elle était vue de l'autre côté du miroir.

 

"Les mythes", disait Barraqué, "il n'y en a pas beaucoup: l'Amour, la Mort, la Nuit, c'est tout". Un portrait encadré et dédicacé de Kirsten Flagstad suspendu au mur de son appartement tout comme la transcription du prélude du troisième acte témoigneront du choc ressenti par le jeune Barraqué à l'écoute d'un "Tristan" donné à l'Opéra de Paris. Le reste du programme de ce CD s'effectuera comme un voyage archéologique à travers des strates de plus en plus profondes de la création barraquéenne: les pièces de 1949, de même qu'une grande partie de la Sonate, ont toutes été composées alors que le compositeur était élève d'Olivier Messiaen au Conservatoire (1948-1951); trois d'entre elles ("Mystérieux et angoissé, avec de brusques éclats", AllegroThème et variations) sont les versions pour piano des trois premiers mouvements d'un quatuor à cordes inédit. Les premières esquisses de "Retour" remontent à 1945, mais le morceau, aux accents ou plutôt aux temps de suspension prophétiques, ne sera achevé qu'en 1948. Quant à la citation de l'évangile de Saint Jean mise en exergue au "Mouvement Lent" écrit en 1947 sous l'égide de Jean Langlais, première œuvre de Jean Barraqué à avoir été diffusée sur les ondes (celles, en 1948, de la radio belge), elle nous indiquera qu'ici sera arrivé à son terme notre voyage "à rebrousse-temps" dans l'œuvre d'un compositeur qui, bientôt, s'éloignera à tout jamais de la religion. 

 

Cet enregistrement est dédié à Jean Koerner, au professeur et ami à l'intelligence métaphorique, au "passeur", de Jean Barraqué mais aussi de Maurice Blanchot.

 

 

 

ESPACES IMAGINAIRES, by Jean-Pierre Collot

(from the CD Booklet)

 

“For this sonata, I planned to use that great piano style as it was perhaps known in the last century. A particularly luxurious piano style.” It is quite possible that there is no other contemporary piece of music that met with so many reactions, and so many attempts at providing a kind of dramatic synopsis in a purely literary form. 

It is only amazing when one is not aware of the important role literature had for the composer, who could be considered almost haunted especially by one book, Hermann Broch’s “Death of Virgil”, “the work,” thus Barraqué, “that I waited for without knowing it,” to the point at which – against all laws of causality – one is tempted to claim that this book had influenced his piano sonata (1950/1952), a work actually written three years before Barraqué discovered the book – and the respective comment by Maurice Blanchot – for himself.

Everything in the sonata, therefore, had already been evoked: acute and vitriolic lyricism, depletion of the structures, the emergence of silence, initially embedded into the phrase itself, then in the shape of massive black holes affecting the surrounding matter, a tritone announcing urgency and dramatic emphasis of trills and tremolos, fateful vortexes penetrating the the sound material from one side to the other, an increasing verticalization of the phrases into harsh monolithic blocks and their convergence in a paroxysmal outburst on the final pages of the work, comparable in its violent character only with the all-chromatic chord in “Lulu’s Death” or the “scream of a child murdered in the night”, a theme that haunts Olivier Messiaen’s “Catalogue of Birds”. The role of tonality should also be invoked, at the beginning perceived as random resonances, then appearing as strange harmonious blossoms slowly growing here and there as the work continues, and we stand in awe: before our eyes, a meditation on music is unfolding, a creator composing and thinking in real time, as if one was listening to Beethoven’s last quartets, with the development of the composer’s thoughts and creational process unfolding before the listener.

“Music, that is drama, pathos, death. It is the ultimate gamble, the tremor to suicide. If the music is not thus, if it is not overcoming all limitations, it is nothing.” Add to this other elements for approaching further: the uncanny invention of “middle nuances” that lets Barraqué forcibly take hold of the interpreter and demands of him a wide trawl through the depth of his subjectivity, insisting that the latter excavate the deepest depths of his subjectivity to comprehend this paradox: a pianissimo that is simultaneously forte, a fortissimo also acting as a mezzopiano. Let us imagine a colour of the rainbow that also incorporates any other colour of the rainbow, or perhaps a space opening up to imaginary spaces, not in the sense of a poetic dream, but rather in a mathematical sense in a, one is tempted to say “Florenskian” sense, an opening to a differentspace where different rules apply. The striking transformation modifying between the first and the second part of the work, at the moment of the metamorphosis from note-ton to note-son, when the note becomes timbre, conquers the screen, becomes a quality. And let us finally turn to the conclusion of the work, when at a no longer existing time, the 12 notes of the sequence are sounded for one last time, albeit as if each one was perceived through a differently coloured lens: the original sequence, but presented in a retrograde and inverted form, turned inside-out like a glove as if it were already being looked at from the other side of the mirror.

Myths,” says Barraqué, “are not frequent: there is Love, Death, Night, that is all.” A signed portrait of Kirsten Flagstad on the walls of the composer’s apartment as well as transcription of the Prelude to the Third Act are testimony to the shock Barraqué experienced in his youth when listening to a “Tristan” at the Opera in Paris. The further programme on the CD continues like an archaeological journey through the ever deeper layers of Barraqué’s work: the pieces written in 1949 as well as a good share of the sonata were composed while the author was studying at the conservatory with Olivier Messiaen (1948-1951); three of them (“Mystérieux et angoissé, avec de brusques éclats”, Allegro, Thème et variations) are piano versions of the first three movements of an unpublished string quartet. The first drafts of “Retour” were composed in 1945, but the piece with prophetic elements was only finished in 1948. The quote from the Gospel of John preceding the “slow movement” written in 1947 during the composer’s time of study with Jean Langlais, Barraqué’s first work to be aired on the radio (on Belgian radio in 1948) shows the destination of our travels back in time through this composer’s work, who is soon to bid religion goodbye forever. 

This recording is dedicated to Jean Koerner, professor and friend with metaphorical intelligence, who acted as “mediator” for Jean Barraqué’s and Maurice Blanchot’s oeuvre.

 

(english translation: Sibyl Marquardt and Stefan Winter)

 

 

 

 

ESPACES IMAGINAIRES, von Jean-Pierre Collot

(aus dem CD-Heft)

 

„Für diese Sonate wollte ich den großartigen pianistischen Stil einsetzen wie man ihn vielleicht im letzten Jahrhundert kannte. Ein  außergewöhnlich luxuriöser Klavierstil.“ Es ist gut möglich, dass kein anderes zeitgenössisches Musikstück zu so vielen Reaktionen geführt hat, oder zu derartig vielen Ansätzen der Interpretation in einer rein literarischen Form, einer Art dramatischer Synopsis. Es ist kaum erstaunlich, wenn man den von der Literatur quasi besessenen Komponisten kennt, insbesondere seinen Bezug zu einem Buch, Hermann Brochs „Tod des Vergil“; „das Werk,“ so Barraqué, „auf das ich wartete, ohne es zu kennen“, bis zu dem Punkt, an dem man, gegen alle Gesetze der Kausalität, geneigt ist, zu behaupten, dass der Komponist Brochs Werk und Maurice Blanchots Kommentar gut drei Jahre früher gekannt haben müsste, als er es sozusagen in die Form einer Klaviersonate (1950/1952) übertrug. 

Alles ist daher bereits heraufbeschworen in den Analysen, die beißende Lyrik, die sich entleerenden Strukturen, die Stille, zunächst klein und noch eingebettet in die musikalische Phrase, dann in Form von massiven schwarzen Löchern, die die umliegende Materie vertilgen, der Dringlichkeit ankündigenden Tritonus und der dramatischen Stellenwerts von Trillern und Tremolos, anmutend wie Wirbel, die das Klangmaterial durchbohren, eine fortschreitende Vertikalisierung der Phrasen in scharfe monolithische Blöcke, und deren Konvergenz in einem paroxysmalen Ausbruch auf den letzten Seiten des Werks, in seiner Gewalt nur mit dem allchromatischen Klang von „Lulus Tod“ oder dem „Schrei des in der Nacht gemeuchelten Kindes“ vergleichbar, dem den Hörer verfolgenden Thema aus Olivier Messiaens „Katalog der Vögel.“ Anzuführen ist gleichermaßen die Rolle der Tonalität, zunächst ganz unter dem Aspekt der zufällig erscheinenden Resonanzen stehend, dann erscheinend als sonderbare harmonische Blüten, die sich langsam hier und da entwickeln, entsprechend dem Verlauf des Werks, und wir betrachten staunend das Schauspiel: vor unseren Augen entwickelt sich eine umfassende Meditation über die Musik; vor uns komponiert und denkt in Echtzeit ein Schöpfer, so sichtbar wie Beethovens Kompositionsweise in seinen Streichquartetten erkennbar ist.

 

„Die Musik, das ist Drama, Pathetik, Tod. Es ist das letzte Spiel, der Tremor bis zum Selbstmord. Ist die Musik nicht so, ist sie nicht die Überwindung aller Grenzen, so ist sie nichts.“

Schließen wir noch andere Verständnismomente daran an: die unerhörte Erfindung der „mittleren Nuancen“, mit denen  Barraqué seine Interpreten dazu bewegt, sie geradezu dazu zwingt, in den tiefsten Tiefen ihrer Subjektivität zu schürfen, um das Paradox zu begreifen: ein pianissimo, das forte wird, ein fortissimo in Gestalt eines mezzopiano. Stellen wir uns eine Farbe des Regenbogens vor, die gleichzeitig außerdem alle Farben einschließt, oder vielleicht ein Raum, der sich zu imaginären Räumen hin öffnet, nicht im Sinne eines poetischen Traumes, sondern stattdessen im mathematischen Sinne, in einem, man möchte sagen „florenskischen“ Sinne einer Öffnung hin zu einem anderen Ort, in dem andere Regelngelten. Die blendende Wandlung, die dann zwischen dem ersten und dem zweiten Teil des Werkes folgt, im Moment der Metamorphose von note-ton zu note-son, wenn die Note zum Klang wird, das gesamte Sichtfeld einnimmt, zu einer Qualität wird. Betrachten wir abschließend das Ende des Werks, wenn am Ende des Stückes lediglich in einem wie aufgehobenen suspendierten Tempo die 12 Noten der Reihe ein letztes Mal erklingen, als ob jedoch jede einzelne durch eine anders gefärbte Linse wahrgenommen würde: die anfängliche Reihe, aber präsentiert in einer verkehrten und rücklaufenden Form, umgedreht wie ein Handschuh, als ob sie bereits von der anderen Seite des Spiegels betrachtet würde.

 

„Mythen,“ so Barraqué, „gibt es nicht viele: die Liebe, den Tod, die Nacht, das ist alles.“ Ein Portrait von Kirsten Flagstad, an der Wand seines Apartments wie eine Transkription des Vorspiels zum dritten Akt sind Zeugnisse des Schocks, den der junge Barraqué beim Hören eines „Tristan“ an der Oper von Paris fühlte. Das weitere Programm der CD verläuft wie eine archäologische Reise durch die immer tieferen Schichten von Barraqués Werk: die Stücke von 1949, wie auch ein Großteil der Sonate, wurden in der Zeit geschrieben, als der Komponist bei Olivier Messiaen am Konservatorium studierte (1948-1951); drei von Ihnen („Mystérieux et angoissé, avec de brusques éclats“, Allegro, Thème et variations) sind Klavierfassungen der ersten drei Sätze eines unveröffentlichten Streichquartetts. Die ersten Entwürfe von „Retour“ stammen von 1945, jedoch wurde das Stück mit prophetischen Elementen erst 1948 fertiggestellt. Das in dem unter der Ägide von Jean Langlais 1947 geschriebenen „Mouvement Lent“, dem ersten Werk Barraqués, das im Radio gespielt wurde (1948 im belgischen Radio),  befindliche Zitat aus dem Johannesevangelium markiert den weitesten Punkt unserer Reise ins Vergangene durch das Werk eines Komponisten, der sich alsbald für immer von der Religion entfernen würde.

 

Diese Aufnahme ist Jean Koerner gewidmet, dem Lehrer und Freund mit brillanter Metaphorik, dem „Vermittler“ Jean Barraqués und Maurice Blanchots.

 

 (Deutsche Übersetzung: Sibyl Marquardt und Stefan Winter)